Cette fois, je laisse fuser un rire franc en secouant la tête. « Je vois défiler plus de cowboys que je n'pourrais en compter quand je suis au bar, et j'peux t'assurer qu'vous n'avez rien de gentlemen. » C'est une généralisation un peu fausse, c'est vrai, parce que je ne peux pas prétendre que tous sont irrespectueux. En revanche je ne mens pas si je prétends qu'au moins la moitié d'entre eux ne sont pas des gentlemen...

Je plisse le museau et entreprend donc de déverrouiller mon téléphone avant de le lui tendre, pour qu'il puisse y entrer son numéro... Et je dois admettre qu'il fait preuve d'une sacrée marque de confiance parce que je pourrais très bien disparaître avec sa bagnole. Ce qui me pousse à demander en fronçant le nez. « Pourquoi est-ce que tu m'as fait grimper dans ta caisse ? J'veux dire... Pourquoi tu m'as pas laissée sur l'bord de la route ? »

Je suis mauvais avec la technologie et si on me demande pourquoi, je répondrais encore que je suis un Cowboy. Pourtant, certains des employés, des frères, savent à merveille se servir de ces trucs, et l'un d'eux a bien essayé de m'apprendre, ne serait-ce que pour ne pas avoir à rester six mois sans niquer, mais c'est pas mon truc. J'entre mon numéro avec une lenteur stupéfiante, sous le nom de "Jo le casse-burnes" puis je lui rend son téléphone sans vraiment la regarder. Pourquoi je l'ai récupérée ? Je pourrais répondre de façon factuelle: parce que c'était plus prudent. Mais je trouve une autre raison tout aussi valable: Je crois pas qu'tu mérites d'aller en taule, ni de t'battre pendant des années pour en sortir. Même si c'était qu'une course de rien du tout, on sait tous comment la justice agit. Et je sors mon paquet de clopes qui s'avère vide. Merde.

Mon sourire en coin s'élargit encore, lorsque j'aperçois du coin de l'œil le nom qu'il note dans mon répertoire, mais je ne fais pas le moindre commentaire. Pas même sur sa lenteur affolante à taper sur l'écran. Non, j'crois pas que je mérite d'aller en taule non plus... Pas pour ça du moins. La justice trouverait sans doute à débattre concernant la nécessité d'envoyer ou non une femme comme moi derrière les barreaux, mon père et ses collègues ne versaient pas dans la légalité et ces courses clandestines ne sont pas le plus grave à mon palmarès. Mais j'sais aussi qu'il y a plein d'gars qui auraient surtout pensé à sauver leur peau. T'as pris un risque en t'arrêtant.. Je ne le remercie pas avec des mots, je ne suis pas douée pour ces choses-là, mais mon ton et mon regard sont éloquents.

J'avais son paquet de cigarettes vide et je fouille dans la poche de mon blouson pour en sortir un autre. Je sais, je taxe ses clopes depuis le début de la soirée, mais je n'ai jamais sous-entendu que je n'avais pas les miennes ! Je l'ouvre et lui tends pour qu'il se serve.

Je la dévisage quand elle me propose son paquet de clopes. J'hallucine ou elle m'a tué mon paquet alors qu'elle en avait ? Elle a commencé par me piquer celle que j'avais allumée, je me souviens bien. Ca me tire un sourire et je secoue encore la tête en prenant une cigarette. Cette fille est pas croyable. Envoie-moi un texto. Si ça se trouve t'es du genre à te lever à midi et je saurai pas ton adresse avant la mi-journée... Je me lève dans environ cinq heures et trente minutes et je compte bien la harceler si je reste sans nouvelles. C'est comme ça. Si j'dois être tout à fait honnête, je voulais pas que qui que ce soit balance, mais maintenant que Matt a du se faire prendre... Et puis j'pensais c'que j'ai dit. Tu mérites pas de finir en taule. Et plus tôt, on causait de loyauté ? je fais pire que ça: je suis une espèce de fier chevalier dans l'âme prêt à se faire entuber.

Je roule des yeux. « Je n'suis même pas encore rentrée chez moi, tu sauras mon adresse quand je s'rais levée ! » J'ajoute dans un sourire. « De toute façon c'est pas comme si tu n'savais pas où me trouver. » Non seulement il sait dans quel bar je travaille, mais en plus il sait désormais que je connais Alistair, et qu'il n'aurait donc qu'à lui demander pour me mettre la main dessus. Je n'ai de toute manière pas l'intention de voler sa caisse.

La suite de son explication fait sens à mes yeux, bien plus qu'un simple élan de bonté d'âme. Non, le fait qu'il ait eu peur d'être balancé paraît bien plus crédible et je hoche donc la tête d'un air entendu, parce que je crois que j'aurais agi de la même façon. « Je ne crois pas que Matt balancera... Je n'le connais pas bien mais Alistair est très regardant sur les types qu'il accepte dans ses courses, et il n'accepte pas les balances. » Après, bien sûr, on n'est jamais à l'abri de rien, tout le monde peut retourner sa veste, mais je crois que les gars savent aussi bien ce qu'ils risquent.

Vrai qu'il ne serait pas malin de me voler ma voiture. De toutes façons je ne compte pas lui laisser la plus utile ou la plus performante. N'empêche que la moindre des choses aurait été de me filer l'adresse ou au moins son numéro... Alistair accepte pas les balances, c'est sûr, mais une balance n'en est pas une avant de le devenir. Je hausse une épaule en inspirant une bouffée sur ma clope. Enfin... T'facons, c'est pas le moment de s'inquiéter. On y va ? Et sur ces mots, je referme ma portière. Au pire, si je me fais arrêter, t'auras gagné un pick-up.

J'acquiesce parce qu'il n'y a pas grand chose à faire d'autre, son sort repose désormais entre les mains d'un autre, et moi je ne crois pas avoir quelque chose à craindre... Pas réellement, du moins. Je referme la vitre parce que je trouve qu'à cette heure, il fait froid, et je me renfonce dans mon siège en soupirant. « Très franchement j'sais pas bien c'que je ferais avec un pick-up sur les bras, alors j'espère que tu t'feras pas arrêter. » Je n'ai pas besoin de ce genre de véhicule, même dans cette région-là. Je plisse le museau tandis qu'il redémarre. « Où est-ce qu'il se trouve, ton ranch ? Parce que je suppose que c'est là qu'on va ? »

Je n'avais pas songé avant au fait qu'une femme pouvait être tendue dans une telle situation. Être dans une voiture avec un inconnu, la nuit, au milieu du désert... Combien d'histoires commencent comme ça, au juste ? J'y pense seulement quand elle me demande où est le ranch. J'espère qu'elle a compris que j'avais rien d'un violeur, quand même. A vingt cinq kilomètres d'ici. C'est pas un ranch immense, t'attends pas à quelque chose de merveilleux, hm. D'après ce qu'elle m'a dit, elle sait tout juste monter alors même si ça me paraît hors du commun ici, j'imagine qu'elle n'a pas fréquenté beaucoup de ranchs. Ma conduite n'a plus rien à voir avec celle de tout à l'heure. Ma vitesse est raisonnable, mais je n'allume toujours pas les phares.

« Je n'm'attends à rien du tout... » Je ne fréquente pas les ranchs, on l'aura compris, j'ai dû y aller quelques fois quand j'étais plus jeune mais ce n'est pas dans mes habitudes que de traîner dans ce genre d'endroits. Pourtant j'ai fréquenté quelques cowboys du coin mais on s'est toujours vu en ville, ce n'est pas comme s'il y avait grand chose à faire dans un ranch et c'est toujours compliqué pour eux d'y ramener des nanas. Et parce qu'encore une fois je ne peux pas ne pas faire la conversation, je demande. « C'est comment, la vie dans un ranch ? »

Mon sourcil s'arque puis, avec ma prudence habituelle, je tourne la tête vers elle. La vie dans un ranch ? Tu veux un stage ? J'étire un sourire à l'imaginer nettoyer les stalles de tous nos chevaux, ou s'exercer au lasso. Tu veux savoir quoi exactement ? Dans l'ensemble c'est... Dur. On doit avoir la tête partout. Quand on pense avoir fini la journée, on se trompe. Ya toujours une bête malade, quand c'est pas un coyote qui se pointe Ou des actes malveillants de bêtes bien plus humaines. Je ne m'en rends pas compte mais je n'évoque pas le bon côté du ranch. L'air de rien, même si j'ai connu autre chose dans ma vie, c'est encore la vie au grand air et à la dure que j'aime le mieux. Et toi, la vie dans un bar, hm?

J'échappe un léger rire en secouant la tête. « Non, pas de stage, j'suis seulement curieuse. » Comme je le suis d'à peu près tous les sujets du monde, mais dans ce coin de l'Etat, les cowboys sont réellement à l'honneur. J'ai l'occasion d'en croiser tous les soirs, mais je ne les interroge pas beaucoup sur leur quotidien. « Qu'est-ce qui t'a poussé à faire ça ? T'es d'une famille de cowboys ? » De ce que j'ai compris, c'est soit un métier dans lequel on grandit depuis toujours, soit un métier dans lequel on tombe presque par accident... Ou plutôt c'est lui, qui vous tombe dessus. « La vie dans un bar ? C't'un peu réducteur comme question. Cowboy, c'est un mode de vie. Barmaid c'est un boulot. » Ce n'est pas tout à fait la même chose et je suis persuadée qu'il en a conscience. « Mais j'ai pas à m'plaindre, j'me laisse pas faire alors j'me fais pas trop emmerder, et j'suis de toute façon un animal nocturne alors ça me va bien. »

Cette fois je n'acquiesce pas. Cowboy aussi, c'est un boulot. Rancher, c'est différent... Moi j'ai toujours cru qu'il y avait une part de mode de vie chez les barmaids... 'Fin, celles que j'ai côtoyé, en tous cas, en faisaient un mode de vie. Du genre je nique mes clients, dans tous les sens du terme. C'ci dit j'ai bien remarqué que tu te laissais pas faire... C'est une bonne chose. Je n'en rajoute pas davantage. Sinon, ouais, mon père est rancher, comme son père avant lui, et son grand père et... Et voilà t'as compris. On devient cowboy de pere en fils, un peu comme les médecins ou les politiciens. Et toi, t'as choisi ?

Je ne m'y connais pas suffisamment pour le contredire encore même si je n'en pense pas moins. Je ne pense pas qu'on puisse se contenter de dire que cowboy c'est un métier. C'est une façon de penser, une façon d'être, de vivre... Je le vois bien, avec tous les cowboys qui viennent au bar, justement. « Mon père était pas barman, si c'est la question, mais j'suis pas sûre d'avoir choisi pour autant... J'ai pas fini mes études, j'sais pas faire grand chose d'autre que ça, alors... » J'ai un léger haussement d'épaules. « J'avais besoin de taffer, y avait un poste de libre, ça c'est juste fait comme ça. »

Quelque chose me dit que je n'aurais pas dû poser cette question, elle est bien maladroite. Hm... Tu faisais quoi, comme études ? Ou bien t'as arrêté au lycée ? Je l'imagine bien faire des études d'art. J'ai jamais rien compris à l'art, je m'y suis jamais vraiment intéressé non plus, à part à la musique, mais avec toutes ces peintures sur le corps, ça me semblerait logique. En parlant de musique, je décide de mettre la radio, pas trop fort, et c'est un classique de la country, un air un peu mélancolique, qui parcourt l'habitacle.

Je secoue la tête. « J'ai arrêté au lycée. » Je ne ressens pas de honte à le dire. Parfois je regrette mes choix, mais je sais aussi que ce n'étaient pas vraiment des choix, mon père a tout fait pour que je ne m'intéresse pas vraiment aux cours et j'ai été très appliquée à le contenter. Je ne sais pas pourquoi je me laisse aller à ces confidences, mais j'explique à voix plus basse, plus calme aussi. « Avec mon père on était sur les routes tout le temps, presque toute l'année. C'était difficile de suivre des cours dans ces conditions... Je crois qu'il a essayé de me faire l'école à la maison... Enfin l'école à l'hôtel serait plus juste, du coup, mais ç'a jamais été trop son truc, à lui non plus. »

Je nous trouve là un point commun. Pour ma part, j'ai arrêté dès que j'ai pu, et lorsque j'allais à l'école, je n'avais rien d'investi. Je me demande certes ce qu'il en est de sa mère mais il ne m'appartient pas de le savoir, et je ne risque pas de la plaindre. Je déteste lorsque l'on me plaint, alors je ne plains pas les autres. Ca a du être bien d'être sur les routes. L'école c'est pas l'plus important. Je ne dirais jamais ça à Sara. La vie d'un avocat doit être chiante quand on y pense. Et je sais de quoi je parle, mon ex-femme l'est. Enfin... T'es jamais vraiment là quand t'as un job du genre. Je hausse les épaules à mon tour avant de demander avec davantage de curiosité: T'es allée loin? T'as vu d'autres pays ?

Un petit sourire amusé se dessine sur mes lèvres et encore, je suis loin d'imaginer qu'il a une fille. « C'est c'que mon père disait tout l'temps, que l'école c'est pas vraiment important. » Il était du genre à me dire que j'étais à l'école de la vie et que c'était bien suffisant. « Tu crois qu'on est plus présent quand on est cowboy que quand on est avocat ? Sans jugement, hein, juste... Ca a l'air d'être un boulot très... prenant. » Et je ne parle pas qu'en termes de temps. C'est un boulot qui prend tout, votre temps bien-sûr, mais aussi votre entourage, votre loyauté, votre santé mentale, votre énergie... « J'ai parcouru tous les Etats, et j'suis allée en Amérique Latine et au Canada aussi, jamais ailleurs, mais c'est d'jà pas mal je crois. Et toi, t'as voyagé ? »

Je ne sais pas si son père était un bon père mais pour sûr, j'aurais préféré avoir le sien que le mien. Je devine qu'il est mort sans trop de difficultés, et j'en ressens une certaine empathie quand je pense à ma propre mère. Ton père devait être un homme sage. Je sais pas si on est plus présent mais les chevaux, le bétail, le grand air, on peut l'partager. Pas les lois et tout l'reste. J'ai jamais vraiment eu envie de voyager, du moins, je n'y ai jamais pensé. Je suis allé en Californie une fois et ça m'a plût mais pour autant, je ne me suis jamais vu sur les routes. Pas vraiment... La Californie, c'est tout. T'as du en voir, des choses. Des bonnes comme des mauvaises. T'as préféré quoi?

Cette fois, c'est un rire franc qui m'échappe tandis que je secoue la tête. « Sage ? Oh bordel tu n'dirais pas ça si tu l'avais connu, crois-moi. C'était juste... Un môme coincé dans un corps d'adulte. » Enfin un môme dont l'activité favorite consistait à braquer des bijouteries ou à faire des courses de bagnole, mais un môme malgré tout. « Mais oui, j'comprends c'que tu veux dire, on emmène plus facilement ses gosses faire un tour à ch'val que dans un tribunal... » C'est là que je songe à demander, parce qu'il est tout de même plus âgé que moi et qu'à mon âge moi aussi je pourrais bien déjà en avoir. « T'as des enfants ? » Je dois plisser le museau pour réfléchir à sa question, parce que c'est justement une question que je ne me pose jamais. « C'est difficile à dire... J'ai adoré le Guatemala mais on n'y est vraiment pas restés longtemps... »

Le temps passe vite lorsque l'on discute sainement et qu'on fait autre chose que de se prendre la tête pour des conneries, et la conversation de Charlie est plutôt agréable, si bien qu'un panneau un peu tordu indique que l'on entre sur mon territoire. Encore quelques kilomètres et on sera au ranch. Mais on s'amuse plus avec un môme qu'avec un adulte quand on en est un, j'me dis. Je ne suis pas du genre à m'ouvrir aisément, ou pour rien du tout, mais si on me pose des questions dont les réponses ne sont pas dangereuses, alors j'y réponds. Et Sara est encore ce que j'ai de plus précieux dans ma vie, je suis fier d'elle et je voudrais que le monde entier reconnaisse qu'elle est brillante et si belle que j'en souris béatement. J'ai une fille. Elle a sept ans, et elle aussi préfère quand j'me comporte comme un môme. Je ne lui retourne pas la question, mais une autre me trotte dans la tête lorsque j'y songe. T'as quel âge ? Je lui donne aisément quelques années de moins qu'elle n'en a réellement, et même s'il n'est pas exclu qu'elle ait elle-même des enfants, je sais que c'est un sujet délicat pour bien des gens.

Je n'en ai jamais voulu à mon père d'être comme il était, je crois que nous avions la plus belle relation qu'il est possible d'avoir et je ne regrette rien. Je sais avec le recul qu'il m'a fait prendre des risques, qu'il ne s'est sans doute pas comporté comme on attend d'un père qu'il le fasse, je sais que la vie qu'on menait était dangereuse... Mais je sais aussi qu'il m'a gardée près de lui, tout le temps. Il aurait pu se barrer, comme ma mère l'a fait, il aurait pu décider qu'avoir une môme sur les bras dans une vie pareille, c'était trop compliqué. Mais non, sa vie était compliquée pour un millier de raisons, et il ne m'a jamais fait sentir que j'étais l'une d'elles.

« J'ai un peu d'mal à t'imaginer te comporter comme un môme. Non pas que j'te connaisse suffisamment, mais... J'sais pas, t'as l'air plutôt... Grincheux ? » Je le dis avec un petit sourire, sans désir de le blesser réellement. « J'aurais trente ans à la fin de l'année. Et toi ? Dix de plus ? »

Cette fois, je la regarde. J'ai rallumé les phares parce que je sais que les flics ne nous suivrons pas ici, et puis il y a quelques gars qui doivent patrouiller non loin. C'est pas qu'on ait l'habitude de se faire harceler mais mieux vaut prévenir que guérir. Et puis ça fait partie du rôle d'un cowboy de protéger son ranch et ainsi son bétail. C'est pas mon père qui pourra faire le travail de toutes façons... Je fais mine de plisser les yeux sans avoir conscience que cela renforce les rides au coin de mes yeux, celles la même dues aux soucis et au soleil. Tu m'trouves si vieux que ça, hé? J'ai trente-six ans seulement, j'ai la vie d'vant moi ! Je le dis sans même y croire parce que depuis que je me suis séparé de Maggie, je considère que ma vie s'arrête là, à Sara et à son bien-être. Non que j'aime encore Maggie, il m'arrive même d'avoir envie qu'elle crève, mais j'ai déjà bien vécu. Toi, j'te voyais plus jeune. J't'aurais donné... Vingt-cinq, pas plus. N'empêche que même si j'doute pas que t'aies eu une vie bien remplie jusqu'à présent, j'trouve dommage que tu saches pas mieux monter à ch'val.

Mon regard ne quitte que rarement la route parce que je n'oublie pas que je suis seule dans une voiture avec un parfait inconnu, et je devine que nous approchons de son ranch à mesure qu'il ralentit. « T'as la vie devant toi... Mais tu fais... Un peu plus que ton âge. » Je lui donnais la quarantaine. Peut-être pas la grosse quarantaine, vous voyez, mais quarante ans au moins, quoi. Mais je sais aussi que la vie de cowboy use le corps plus vite. Le soleil, le vent, la terre, la fatigue... « Je sais que je fais plus jeune, alors à nous deux on a l'air d'avoir quinze ans d'écart, tu vois. » Je lui adresse un sourire mutin avant de rire. « J'ai encore le temps d'apprendre à mieux monter à cheval, et quelque chose me dit que dans cette région j'aurais le loisir de le faire. »

Mon regard est retourné à la route. Il fait noir et on n'aperçoit encore aucune lumière pour l'instant, mais si mon allure ralentit, cela ne tardera pas pour autant. J'apprécie à nouveau sa répartie et acquiesce. C'est ça, ouais ! Je sais pas trop si t'auras l'choix... Je crois que je connais personne ici qui sache pas monter correctement. Et c'est vrai, à part en ville où les gens ne voient pas l'intérêt tout en se promenant avec des chapeaux en feutre hors de prix. je dois dire que ça m'énerve, en un sens, parce que si je n'ai pas choisi d'être Cowboy, c'est une vie que j'apprécie. Il me manque certes ma fille, et la considération de ma famille, mais j'ai le reste pour moi. Les propos de tout à l'heure me reviennent à l'esprit sans que je ne sache pourquoi et de pseudo-excuses me viennent d'on ne sait où. Mais quand j'ai dit ce truc, là, tout à l'heure, sur l'fait que ça musclait le cul, je voulais pas dire que tu en avais euh.. Besoin.. Enfin, tu vois... C'est nul, putain, tellement nul que j'en rougis violement, comme à chaque fois que je fais un peu d'effort, que je bois un peu trop ou que j'ai honte. D'un mouvement de la tête qui vise à pointer du menton ses bras pourtant vêtus, je lui demande pour noyer le poisson: Et ça? Tes tatouages, j'veux dire, ça veut dire quoi?

« Eh, je sais monter correctement. J'veux dire, si tu m'emmenais en balade, je crois que j'me ridiculiserais pas... Tant qu'on va pas crapahuter dans la montagne, quoi. » Disons que si l'on se contente d'une promenade pour touristes, je devrais réussir à garder mon cul sur le canasson !

Je ne m'attends pas du tout aux balbutiements qui suivent, si bien que je dois le regarder avec des yeux ronds et qu'il est heureux qu'il fasse sombre et qu'il ait le regard braqué sur la route. Le silence s'installe entre nous, un temps avant que je ne pouffe, en essayant maladroitement de ne pas éclater de rire. « Donc tu matais outrageusement mes seins, et t'es en train d'me dire que t'as passé le reste de la soirée à mater mes fesses ? Putain ça fait combien de temps que t'as pas tiré un coup ? » Non pas que je n'estime pas être agréable à regarder, seulement il fait visiblement une fixette ! J'ai encore le sourire aux lèvres quand je baisse les yeux sur mes bras, dissimulés par le blouson. « Ca veut dire quoi ? J'ai tellement de tatouages que j'ai arrêté d'les compter, va falloir poser des questions un peu plus précises, j'crois. »