Helvalia est surprenante. Je sais qu'elle n'est pas de ces putes banales qui jonchent les routes et les bouges. Je le sais depuis quelques semaines maintenant. C'est juste qu'elle a l'air si innocente, si prête à se briser, alors qu'elle connaît la vie et tient plus du chêne que du roseau. Quand elle parle de la neige, j'ouvre davantage les yeux sous les paysages hivernaux qui me reviennent en tête. Chez moi... Enfin, là où j'suis né, les neiges durent beaucoup plus longtemps qu'à Paris. Enfin, j'y suis allé qu'un hiver, mais j'ai bien vu les routes salies par les carioles et la merde... Ici au moins on a la décence de s'organiser, merci la chaleur. Ses doigts sur mon corps me tendent autant qu'ils me détendent. Ce moment d'intimité est plus qu'agréable et si j'aurais préféré qu'il soit plus profond, il y a là quelque chose de spécial. J'ai encore envie de l'embrasser mais je reste sage, elle m'engueulerait avec cette adorable moue réprobatrice et j'ai envie de lui faire plaisir. En attendant d'être bien foutu de lui faire plaisir autrement. Bien sûr, l'idée d'un coup de main me vient en tête, mais à la réflexion, je n'ai pas envie qu'elle ait l'impression d'être là pour ça, et puis j'en serais plus frustré que soulagé. Une fois j'suis allé très au Nord. Pour v'nir ici, en fait. Ca ressemblait à rien de c'que je connaissais... Des flammes vertes dans le ciel, 'vec des étendues d'glace au dessous et d'la neige ! Ils appellent ça "des aurores boréales" dans les livres. Mais ça pèle... C'est en fait un mauvais souvenir, cette traversée, mais ça, ça valait toutes les peines.

J'ai l'impression de pouvoir lire les souvenirs qui se dessinent derrière ses paupières et qui me sont pourtant étrangers. Mais les réminiscences qui le traversent semblent si vives que son regard s'anime en un spectacle fascinant. « Où est-ce que c'est, l'endroit où tu es né...? » J'incline légèrement la tête sur le côté. « Je ne me situe pas très bien sur une carte mais je peux essayer de visualiser... » Je ne suis par exemple vraiment pas certaine de savoir où se situe Tortuga par rapport à Paris. Je sais seulement qu'à un certain moment, la mer sépare les deux, longtemps.

En passant mes mains savonneuses sur ses bras, je répète. « Des aurores boréales ? » Un petit sourire se dessine sur mes lèvres, je n'ai jamais entendu ces mots-là de ma vie mais j'essaie d'imaginer les flammes qu'il me décrit. Je mêle mes doigts aux siens pour sortir ses mains de l'eau, doucement, patiemment, pour les laver également. « C'a duré combien de temps, la plus longue traversée que tu aies faite ? »

Evidemment, mon regard est focus sur ses doigts qui s'entremêlent aux miens. J'avais déjà un peu regardé ses mains pendant qu'elle mangeait les fois où on a graillé ensemble, mais sa bouche leur faisait concurrence. Cette fois, j'y vois un soin approprié, des ongles presque nacrés, et comparés aux miens, rongés et avec les doigts trop musclés, je trouve le contraste saisissant. Je pourrais envelopper si complètement sa main dans la mienne qu'on ne la verrait plus. Je réponds, sans trop m'apercevoir que je le fais. Danzig... en Europe, fort à l'est, je te montrerai. Sur une carte, bien entendu. Pas question de retourner là bas un jour.
Je reviens à moi et porte tout naturellement ses doigts savonnés à mes lèvres. Tant pis pour celle qui est fendue. J'aime bien la sensation. Sans voir la terre, ça a duré 38 jours. Pour v'nir ici. Mais m'est arrivé de n'pas toucher terre pendant deux mois. Et si je suis marin et qu'elle est la courtisane, nous avons vécu la même chose. De façon très certainement fort différente, mais quelque chose me dit que ça a été pire pour elle que pour moi, qui ai pu trouver dans mon expérience et mon métier la patience. Ca doit t'faire presque autant d'expérience d'la mer que moi... Tu voudrais r'tourner en Europe, toi ? Je ne sais pas pourquoi je lui demande ça, mais si je ne peux pas l'emmener au bout du monde, un Capitaine pourrait peut-être le faire?

Je secoue doucement la tête pour énoncer ce qu'il sait sans doute déjà. « Je ne connais pas Danzig... Je crois que je n'en ai jamais entendu parler... » Il n'y avait pas tant d'étrangers à Paris qu'il peut y en avoir ici, où j'ai l'impression que des hommes et des femmes du monde entier se pressent. Pensive, je lève l'une de mes mains pour tracer une boussole imaginaire dans les airs. « L'Est, c'est... Par là... » J'oublie, l'espace d'un instant, que l'Est ne se situe pas toujours à droite et que non, Danzig ne se situe probablement pas là, de l'autre côté du mur.

Il porte ma main à sa bouche et mon corps s'alanguit sans que je m'en aperçoive contre le sien, sa tendresse appelant la mienne, par ricochet. « Est-ce qu'on peut vraiment parler d'expérience de la mer, quand on a passé presque toute la traversée sous le pont ? » Les conditions de voyage des femmes dans ces cas-là ne sont pas idéales, je suis sûre qu'il le sait. Je hausse doucement les épaules. « Je ne sais pas si ça me plairait, j'essaie de ne pas me poser la question... Jamais je n'aurais imaginé venir ici un jour et pourtant, me voilà... »

Je hoche la tête parce qu'elle donne la bonne direction. Je ne me fais pas la réflexion que c'est peut-être accidentel, et il me plaît de l'imaginer douée en cette matière aussi. Pour ma part, j'ai une boussole dans la tête, même si le ciel suffit bien à me diriger. Au début pourtant, c'était difficile, car les étoiles ne sont pas tout à fait les mêmes. C'est par là, ja. Son poids plume contre mon corps meurtri ne me cause pas de dégâts. Ce n'est même pas inconfortable, comme si elle avait agi instinctivement et, en réponse, mon bras s'enroule autour de sa taille. Son visage est très près du mien, si près que je sentirai presque son souffle chaud à travers les poils de ma barbe. On peut, ja. C'est même le plus difficile. A côté de ça, maint'nir le cap et courir l'gréement est un jeu d'enfant... Quant à être ici, eh bien... A part les tempêtes, l'humidité et la chaleur, nos pays respectifs sont mois attirants. Ici... Tout est à bâtir. C'était l'argument numéro un de Lars pour nous attirer ici. Ca, et ce sentiment indescriptible. Et on est libres.

Les arguments qu'il avance me font sourire, plus amplement à chaque mot, et je hoche la tête d'un air rêveur. C'est vrai... Ici vous êtes libres... Et je sais que la situation qu'il m'a offerte est ce qui, pour moi, s'approchera le plus de la liberté. Je ne peux pas espérer plus que ça, et je trouve déjà ça fabuleux.

Mes mains disparaissent sur ses flancs, aériennes pour ne pas le blesser, et le savon disparaît dans l'eau chaude sans que je m'en soucie. C'est avec douceur que je passe sur son ventre, ses côtes, en songeant que lorsque nous avons couché ensemble, je n'ai pas réellement eu l'occasion de découvrir son corps, ni les encrages qui assombrissent sa peau déjà hâlée par le soleil. J'aime son contact sous mes doigts, il me réchauffe gentiment le ventre. Qu'est ce que vous avez envie de bâtir...?