Anecdotes / Caractère

     "Jurgen est juste le plus grand fils de pute que j’ai jamais connu. Mais jamais je le dirais devant lui. Personne n’a le droit de dire que sa mère était une pute. Et puis il n’y a pas que les putes qui engendrent des monstres, après tout. Enfin, Jurgen, c’est pas un monstre… pas vraiment. Des fois, seulement. Je l’ai déjà vu refiler des fruits pas trop pourris aux gosses des rues, et le lendemain menacer les parents de buter leur progéniture s’ils payaient pas. Quoi penser d’ça ? Moi j’en dis que c’est un génie de l’arnaque, parce que du coup, les gosses ramènent à leurs parents de quoi bouffer, ils les trouvent précieux, et veulent les préserver. Il fait pas ça que dans ces cas là. Une fois, avec Corbeau, ils ont foutu en l’air l’économie de toute une île pour après leur revendre les vivres à prix d’or. Il a échangé du verre contre de l’or. Il a passé des mois à coudre le bas d’un dauphin au buste d’un squelette humain (me demandez pas qui c’était, mais Moineau en était fier) pour revendre ça comme les vestiges d’une sirène et c’était un putain de chef d’oeuvre. Il est comme ça, en fait. C’est juste un môme dans un corps trop grand, trop fort, avec un regard trop dur. Alors on lui dit jamais non. Ou pas longtemps. C’est un artiste aussi. Un artiste du meurtre, de la menace, avec le petit côté poétique de l’homme qui passe son temps à dessiner sur la peau des gars. Généralement c’est réussi, et plus il boit, mieux c’est. Et putain, Dieu sait que Jurgen boit. Il fait pas que boire, d’ailleurs… Et c’est pas joli. Personne n’ose lui dire mais on le sait tous que des fois, il est dépassé par la vie. Il va s’enfermer, comme en colère, dans sa piaule, et sortir que pour rugir et rougir la gueule des matelots ou des badauds. Parfois il va au bordel, mais ça le calme jamais vraiment. C’est une boule de nerfs qu’on pique avec une aiguille, il rebondit dans tous les sens. Mais c’est quand on le voit pas qu’il faut se méfier de lui. Avec Corbeau, ils se ressemblent beaucoup, même si tout le monde s’accorde à dire que Corbeau a bien plus la tête sur les épaules. Que c’est lui le cerveau, et que c’est Jurgen, les bras. Moi je crois pas tant que ça… Je sais que Moineau sait être sérieux. Il joue juste le rôle de chien fou, comme s’il allait vraiment péter les plombs s’il se laissait pas faire ça. D’ailleurs, il touche rarement une arme à feu. Il dit que ça fait trop de bruits, qu’il préfère faire ça à l’ancienne, que ça pue moins et que c’est moins dangereux, alors même qu’il aime le danger. Il est du genre à grimper pinté et les yeux bandés sur le mât parce qu’on lui dit qu’il est pas cap.

     Personne sait vraiment comment il est, dans l’intimité. En fait, la plupart des gens pensent qu’il en a pas, d’intimité. Qu’il tire juste son coup une fois de temps en temps, pour le principe. Moi je crois qu’il est juste mort de peur. Les femmes, c’est bien les seuls êtres sur terre qu’il redoute. Il dit toujours qu’il a jamais été marié, qu’il en voit pas l’intérêt. Je le crois pas, personne n’a jamais survécu aussi bien en étant honnête. Et puis on est des pirates, on a tous nos casseroles."

Passions et passe-temps

   
• Dessiner sur les peaux et toutes sortes d'activité manuelles, comme le travail du bois
• Chanter
• Escroquer, mentir, provoquer et se foutre dans la merde de manière générale
• Se dépenser.
• Manger. Il a un appétit d'ogre mais a un faible pour les tomates et le crabe
• Fumer le cigare, mais pas que
• Regarder les jolies filles et lancer des cailloux aux chats
• Les bottes
• Regarder les étoiles, parce qu'il a remarqué qu'elles n'étaient pas du tout les mêmes qu'à Danzig et que ça le fascine

Histoire

     Jurgen est né en 1684 dans la ville portuaire de Danzig au beau milieu du printemps. Un cadeau, en toute ironie, absolument inespéré. Anja devenait fille-mère et ses parents le vivaient comme une honte. D’autant plus quand le gamin se révéla, au fil des ans, petite frappe qui termina bien vite chef de gang.
A sept ans, il rencontre son père, Mateus. C’est un homme trop fier qui n’a passé que quelques semaines à Danzig. Anja est sûre de sa paternité, et, trop jeune et trop naïve, a laissé entendre à son fils que son père était un soldat glorieux doublé d’un riche marchand et triplé d’un héros. L’oisillon l’a crû, et a bien déchanté en rencontrant un homme trop ivre, marqué par la vie. Un voleur de bas étages qui n’hésite pas à humilier le gamin qui, il a compris désormais, ne rêvera plus.

     Un an plus tard, c’est Anja qui est victime de son succès. Elle n’a pas cessé ses activités malgré la honte de ses parents qui la dégagent définitivement de chez eux. Jurgen vit alors dans un petit bordel en bord de port. Un emplacement idéal pour observer et connaître la nature humaine. Idéal aussi, pour en être victime. Un soir, il refuse de dormir. C’est qu’un gamin, après tout, avec ses demandes d’affection. Et Dieu sait qu’il adore sa mère qui, toujours, le préserve comme elle le peut. Ce soir-là, pourtant, il entend du bruit, du genre de ceux qui ne sont pas habituels. Sa mère, la nuque brisée, repose sur le lit. Le garçon est un témoin gênant, on lui tranche la gorge et on le pense mort. Une chance alors que Corbeau, qui pissait par là, ait été, comme d’habitude, si prudent qu’il constate un mouvement dans le fourré contre le mur.

     Trois ans plus tard, Jurgen est un adolescent accompli en équilibre sur la proue. Ses joues sont rouges, sa bouche se gonfle de grosses goulées d’air et les larmes s’étirent sur ses tempes. Il navigue depuis autant d’années. On lui apprend tout ce qu’Anja n’a pu lui transmettre. L’amour de l’argent, de la violence, la douce brûlure des cordes sur les mains, et, parfois, la façon de parler des hautes gens. Il ne développe pas les talents de Caméléon de son Capitaine mais se trouve toujours un rôle à sa hauteur.

     Après un séjour à la prison de Hambourg où il échappe de peu à la pendaison, Moineau s’avère être devenu un homme. Épaules larges, menton couvert de poils, regard plissé. Il n’a jamais été très stable mais quelque chose s’est brisé derrière les barreaux, quelque chose de plus que ses côtes.

     Depuis, Moineau a gagné son titre de maître d’équipage. C’est bientôt l’appel du très grand large qui les réunit, lui, Corbeau et leur équipage. Beaucoup meurent dans la traversée car s’ils sont de bons navigateurs, les détours sont nombreux pour éviter anglais et espagnols. L’ambition de fomenter quelque chose de gros, de nouveau se fait sentir. Et à Tortuga, sur la mer des Caraïbes comme à Port-Royal, Jurgen est chez lui.