Histoire

Durant sa prime jeunesse, Helvalia n'avait connu que l'orphelinat. Les rumeurs racontaient que sa génitrice était une fille-mère qui l'avait abandonnée parce que sa famille ne pouvait se permettre l'affront de voir son nom sali par son arrivée. Enfant, elle se plaisait à croire que cela signifiait probablement qu'elle était issue d'une riche famille de marchands, ou de nobles influents, et sans doute était-ce l'image qui lui permettait d'affronter la grisaille.

Elle vécut les dix premières années de sa vie à arpenter les ruelles parisiennes en compagnie de mômes dont la faim et l'envie guidait tous les mouvements, sans jamais parvenir à s'intégrer tout à fait. Elle restait, contrairement à eux, incapable de voler, malgré son incroyable capacité à se montrer particulièrement discrète. Très tôt, il fut convenu qu'elle servirait de distraction, de ruse pour détourner l'attention tandis que les autres laissaient leurs mains errer dans les poches trop pleines des passants. Les rares fois où elle tenta de se prêter à l'exercice, la culpabilité se lut si fort sur son visage qu'elle se fit prendre, manquant d'entraîner dans sa chute tous les autres.

A l'aube de sa dixième année, elle fut confiée à une matrone qui réclamait une apprentie. Madeleine était sévère, et dépourvue de toute douceur, mais elle était douée et se rendait chaque semaine au dispensaire, traînant la rouquine dans son sillage. Elle y appris à utiliser les plantes, recoudre les plaies et replacer les os blessés, et s'avéra tout aussi prometteuse que son mentor. La jeune-fille n'avait jamais blêmi à la vue du sang, et elle ne rechignait pas à la tâche, surtout lorsque celle-ci lui plaisait.

Madeleine périt trois années plus tard, et la rouquine aurait dû être confiée à son frère, qui ne s'embarrassa jamais d'un tel fardeau. Sans jamais l'avoir rencontrée, il vendit la rouquine au plus offrant, et les murs du dispensaire laissèrent place à ceux de L'Aphrodite. Encore trop jeune pour comprendre réellement ce qui l'attendait, elle se fit à cette nouvelle vie comme le font ceux qui n'ont pas d'autres choix, et pour la première fois le minois angélique qui lui avait fait défaut toutes ces années s'avéra son meilleur atout.

A la Cour des Miracles, Helvalia était le rayon de soleil qui transperçait le terne ciel parisien. Un sourire perpétuellement vissé sur les lèvres, elle évoluait au cœur des venelles malfamées en tâchant de ne pas laisser la crasse éclabousser sa bonne humeur. Il aurait été facile de la penser folle, ou souffrant peut-être d'un léger trouble dissociatif. En réalité, les instants qu'elle passait hors des murs de la maison close étaient autant d'instants de liberté qu'elle chérissait avec l'ardeur de ceux qui savent que rien ne dure. Très tôt, elle avait compris n'avoir que deux options : elle pouvait se morfondre et pleurer sur son sort, en faisant sienne l'aigreur des filles de joie qui se savent condamner... Ou elle pouvait décider que seuls comptaient les moments de liberté qui lui étaient offerts, en nourrissant les fantasmes du jour où elle pourrait définitivement acheter la liberté en question.

L'arrivée à Tortuga avait été un véritable coup de massue, parce qu'elle avait compris lorsqu'on l'avait vendue que jamais elle ne serait tout à fait libre.