Je me mords la lèvre pour réprimer un rire quand il se sent obligé de préciser qu'il ne couche pas avec Alicia. Et moi, je me sens obligée de préciser. Tu couches bien avec qui tu veux, tu sais ? Je n'ai pas vu d'alliance à son doigt, s'il a une femme elle ne vit pas sur Tortuga à mon humble avis, et Alicia est une courtisane, ils peuvent passer ensemble tout le bon temps qu'ils veulent ! Je suis à deux doigts de lui dire qu'il peut bien la tripoter s'il le souhaite mais je ne veux pas non plus l'encourager... Je crois que ça ne me déplairait pas de trouver, de temps à autre, une place libre sur ses genoux.

Ses mains glissent sur mes hanches, me faisant un instant retenir mon souffle avant que je ne comprenne qu'il cherche seulement à me hisser plus haut. Je me retrouve perchée sur le baril et, par orgueil, je secoue la tête. Je n'ai pas besoin d'échelle. Et parce que je me sens d'humeur plus mutine, je souffle en coulant un regard dans sa direction, alors même que je suis tout à fait capable de grimper seule. Tu peux me porter encore.

Je couche bien avec qui je veux, c'est vrai, mais en général j'aime mieux que ça reste discret. Et… disons professionnel. J'ai une peur terrible de l'engagement. Je ne peux pas le nier, il n'y a qu'à Corbeau que je suis fidèle et, entre nous, il n'a jamais été question d'autre chose que de loyauté, si j'avais besoin de le préciser.
Elle me fait terriblement envie. Mes mains sont toujours moites mais, heureusement, elles ne sont pas en contact avec sa peau. Mes joues doivent avoir un peu rougi, mais le soleil est passé derrière l'une des bâtisses et la ruelle qui borde l'arrière du jardin de La Barbe est étroite. Mon cœur cogne comme lorsque je prends en chasse un navire. Non, plus. Parce que les abordages, je maîtrise, au moins. Le temps se suspend, l'invitation est directe. C'est à moi d'agir et, lentement, les doigts migrent de ses hanches à l'arrondi de sa croupe. Ma voix se fait rauque quand je lui dis, en la ramenant vers moi sans me presser entre ses jambes pour autant, plus gauche que brusque: Ce s'rait… risqué, hm. Et le sous-entendu brille dans mes yeux, j'ai très envie de prendre des risques, le risque si palpable alors que mon nez effleuré quasiment le sien.

Je ne sais pas s'il saisira la perche tendue, mais je lui offre une opportunité de se dérober. S'il n'est pas intéressé, il peut simplement prendre mon invitation au premier degré, et m'aider à grimper sur le toit. Si je lui plais, au moins un peu... Il saisira sa chance, du moins je l'espère. Je ne sais pas pourquoi il me plaît tant, pourquoi plus que les autres... Est-ce parce que c'est lui qui m'a sortie de la Voile Rouge ? Est-ce parce qu'il m'a pris sous son aile ? Parce qu'il m'a sauvé la peau alors même que je venais d'essayer de m'enfuir ? Je ne saurais me l'expliquer, et à dire vrai je ne cherche pas à l'expliquer. Il y a une attraction certaine entre nous, j'en suis convaincue, et nous serions idiots de ne pas y céder.

Et je crois qu'il cède, lorsque ses mains dérivent et descendent plus bas, réchauffant mes reins par leur seul contact. Il me tire à lui, se voûte vers moi et je lève les yeux vers lui, mon regard accrochant le sien. Mais je croyais que les pirates aimaient prendre des risques...

Ce n'est plus dans ma poitrine que le sang afflue en majeure partie, du moins, mon corps exprime les prémices de mon désir. J'ai pensé à elle, quelques fois à Port Royal, et jusqu'à présent je me limitais à l'imaginer. Mais ce soir, quand je l'ai revue, j'en suis venu à avoir envie qu'elle s'assied sur mes genoux. Je voulais pouvoir poser l'une de mes mains sur sa cuisse, sentir son souffle et ses conseils, peut-être même très mauvais, en termes de jeu. Cette fille m'intrigue depuis le tout premier jour et, si je dois être honnête, ce n'est pas que la vision de son corps qui me stimule tant. Elle est brillante, j'en suis sûr, elle est drôle, aussi, et j'ai envie d'en découvrir un peu plus, de passer du temps avec elle. Mais là maintenant, j'ai surtout envie d'elle. Je mets tous mes principes de côté. Demain, je mettrais certainement ça sur le dos de l'alcool, mais ce soir, je la veux. Je veux ces lèvres qui se meuvent sans bruit, parce que je l'entends sans tout-à-fait l'écouter. Les miennes s'y pressent avec langueur, mais le reste de mon corps, lui avec plus d'ardeur car cette fois je l'invite à enrouler ses jambes autour des miennes. C'est ainsi que je lui montre comme j'ai l'amour du risque, aussi lâche puis-je être avec les femmes.

A cet instant précis je ne réfléchis plus et je ne sais pas exactement à quel moment les choses ont changé de la sorte entre nous. Avant son départ le mois dernier, notre relation semblait parfaitement sans ambiguïté, d'où me vient cette attirance subite pour sa bouche ? Tout ce que je sais, c'est que lorsqu'il se penche vers moi, mon rythme cardiaque s'emballe, mon souffle s'affole et je crois que durant quelques secondes, je ne suis plus du tout connectée à la réalité. Comme il m'attire à lui, comme nos souffles se mêlent, je m'approche du bord du baril pour enrouler mes jambes à ses hanches en un mouvement qui le plaque contre moi, son bassin contre le mien en un geste explicite. Mes mains, elles, se déploient enfin. Elles remontent le long de ses bras, passent d'abord sur ses épaules avant de venir se loger contre sa nuque. Je m'étire ainsi vers lui, tout mon corps tendu vers le sien, ma bouche se pressant sur la sienne.

Je devrais interrompre le baiser avec un sourire mutin qui lui donnerait envie de plus. Je devrais m'écarter et l'inviter à me suivre sur le toit, me faire mutine et mystérieuse... Mais je prolonge le baiser dans un soupir, ma bouche accrochée à la sienne, comme incapable de s'en défaire.

Par chez moi, on dirait que cette fille est une sorcière. Qu'elle envoûte et qu'elle plie à sa volonté le plus farouche des hommes. Moi, si je ne pense plus à cet instant précis, je trouve tout de même qu'elle tient plus de la créature de rêve que de la vilaine rabouteuse. Ses lèvres ont le goût du miel, ses doigts ont la douceur des plumes, ses jambes la souplesse des lianes. Je me perds contre son cou, je distribue les baisers comme je distribuerai les gifles aux hommes qui n'obéissent pas. Je perds tout-à-fait pied et le retour est impossible quand je parviens à défaire son corsage et à libérer sa poitrine. Ça me prend un peu de temps parce que l'ivresse d'elle me rend maladroit mais la vue en vaut largement le coup. C'est plus beau encore que tout ce que j'ai imaginé. Ces tâches sur sa peau ont vraiment un quelque chose d'exceptionnel. Dans nos mouvements, nous manquons de faire tomber le baril, et la rouquine avec alors, après m'être défait à la hâte de ma ceinture, je la hisse contre moi, je la plaque contre le mur dans un soupir et mon regard noir croise le sien quand je mimmisce en elle. Elle a tout gagné. Elle dispose de moi et c'est loin de me déplaire.

Il abandonne ma bouche et j'en soupire de frustration et de désir mêlés, parce que devoir renoncer à ses lèvres m'est une véritable torture... Et que pourtant j'aspire à les sentir se déplacer sur ma peau. Ses gestes empressés n'ont pas l'aisance des hommes habitués à débarrasser les femmes de leur corset tous les soirs, et ça me surprend parce que je l'imaginais coureur de jupons, sans trop savoir pourquoi. J'aurais voulu, je crois, avoir le temps de découvrir sa peau, mais les lieux ne s'y prêtent pas et nous sommes tous les deux pris d'une impatience dont je ne m'explique pas la source.

Mes bras se nouent à ses épaules, mes jambes s'enroulent autour de sa taille et je viens étouffer un cri contre ses lèvres lorsqu'il vient buter au creux de mon ventre. Je remonte une main dans ses cheveux pour plaquer son visage contre le mien, mais bientôt le souffle me manque trop pour que je puisse l'embrasser encore. Alors je me contente de haleter, d'étouffer mes gémissements contre ses lèvres, jusqu'à ce que l'on vienne dans une vague simultanée qui me fait trembler contre lui. C'est lorsque je rouvre les yeux, à bout de souffle, que je vois dans son dos, quelques mètres plus loin, le couple qui nous dévisage, outré. Et mon réflexe premier est de venir enfouir mon visage contre l'épaule masculine pour m'y cacher.

Il est encore trop tôt pour que j'éprouve de la honte. Je me suis comporté comme une bête mais n'est-il pas agréable de céder à ses pulsions, parfois ? J'ai si peu l'habitude de m'écouter que je me surprends moi-même. Helvalia est délicieuse et je pourrai rester ainsi une éternité. La chaleur de ses bras, de ses lèvres… Et quand elle empoigne mes cheveux, Dieu ! Tout me fait apprécier davantage encore les Caraïbes. Qui aurait cru que ce serait une petite rouquine qui rendrait cet endroit d'autant plus attrayant ? Je n'arrive pas à m'empêcher de sourire, je n'essaye même pas de toutes façons. J'en deviens tendre, ma barbe contre sa joue, mon souffle dans son cou, le sien dans le mien. Je souris comme un idiot en cherchant son regard que je ne trouve pas. Le bruit me fait regarder par-dessus mon épaule et un vent de panique s'empare de moi avant que je ne comprenne que je ne les connais pas. Le souffle encore court et le visage luisant, je leur lance : Cette… ruelle est… déjà occupée… Ça fait son petit effet parce qu'ils se tirent plus outrés encore qu'au départ. Je dépose à nouveau délicatement Helvalia sur le baril, mais je reste près d'elle, comme si j'avais besoin de son étreinte. J'ai besoin de son étreinte. Tu veux… toujours aller ... sur les toits ?

Enfouie contre Jurgen, je ne vois pas vraiment les visages rivés sur nous et je suis infiniment soulagée qu'il les chasse sans que j'aie besoin de m'éloigner de sa peau. C'est étrange, d'ailleurs, comme on reste l'un contre l'autre, enlacés alors même qu'on osait tout juste se tenir la main quelques instants auparavant. J'hésite à lui dire qu'il vaudrait mieux rentrer, parce que je crois que ce ne serait pas raisonnable de rester avec lui... Ce ne serait pas raisonnable justement parce que j'en a trop envie. Et c'est également pour cette raison que je ne parviens finalement pas à lui dire non.

Alors j'étire un sourire, ma main glissant le long de son dos. J'aimerais... Bien... Je suis encore essoufflée, quand je repose les pieds au sol en libérant ses hanches, ma robe retombant sur mes jambes pour m'accorder un peu de pudeur. Mes mains le relâchent également, et je demande malgré tout, les joues rouges. Tu crois... Que tu peux quand même m'aider... À monter...?

Je n'ai pas envie de me confronter au monde. Au début de la soirée, pourquoi pas, mais dès que j'ai rejoins ce jardin, j'ai renoncé aux mondanités. J'espérais alors bien qu'elle soit d'accord pour continuer notre petite escapade nocturne. Je ne sais toujours pas pourquoi Helvalia m'a rejoint mais j'en suis pour le moins content. Je referme son corsage et noue les liens de celui-ci en la regardant par intermittence. Elle est magnifique. Et moi j'ai l'air d'un simple idiot, avev les joues cramoisies. Ma ceinture attachée, je cède à son caprice. Elle est adorable. J'effleure sa joue et ne résiste pas à l'envie de l'embrasser encore. Un baiser de rien du tout, teinté de la confiance de la récente étreinte, et puis je me hisse à mon tour sur le baril pour me tenir debout dessus. Tu l'demandes si gentiment… Je lui tends une main pour l'aider à se lever de la même facon.
Quand j'y pense, c'est surréaliste. Je viens juste de culbuter contre un mur la femme la plus désirable que j'ai jamais vue, et je ne suis pas entrain de la payer. Pire, je vais continuer à passer du temps avec elle. Mais… attends. Est-ce qu'elle s'attend à être payée ? Et combien ? Ce n'était pas un hasard, cette rencontre dans les jardins de La Barbe ? Je décide de ne pas y penser maintenant, Histoire de ne pas gâcher le moment. Si je dois la payer, je le ferai. Cette soirée le mérite amplement, après tout.

​Ses doigts glissent, aériens, sur ma joue, nos lèvres se trouvent encore et les battements de mon cœur s'accélèrent un instant. ​Je crois que je suis trop émue, quand c'est lui qui s'applique à relacer mon corsage, en gestes d'une tendresse qu'on ne soupçonnerait pas possible, venant de mains pareilles. Mais Jurgen se révèle surprenant, de bien des manières. Ma main se pose dans la sienne et je me relève, les jambes encore un peu tremblantes. Je ne saurais toujours pas dire comment, ni pourquoi, la situation a dérapé de la sorte, mais je m'en sens à la fois euphorique et... Déphasée ?

Ensemble, on se hisse jusqu'au toit, et déjà je m'y sens un peu mieux, comme isolée du monde d'en bas. Je désigne un grand bâtiment, plus loin, en front de mer. « Sur ce toit-là, on sera bien, viens. » Je ne suis jamais venue me balader ici toute seule, contrairement à Paris, mais les réflexes et les instincts ne changent pas selon les villes et je sais repérer un bon perchoir lorsque j'en vois un.

Quand elle s'assied à côté de moi, il me semble naturel de passer le bras autour de ses épaules. Il ne fait pas aussi froid qu'en France ici, mais j'ai envie de sa proximité. Le cafard qui m'a pris tout à l'heure a disparu. L'odeur de ses cheveux imprègne la brise marine qui me parvient. Je reste ainsi à ne rien dire, à ne rien faire. Pour une fois dans toute mon existence, je ne fais, justement, qu'exister. Le passé ne me tracasse pas, l'avenir ne se profile pas, et le présent m'est doux et c'est tout ce qui m'importe. Elle a les yeux rivés vers la Lune qui veille, immense, sur les territoires marins. La plage, un peu plus loin, est dénuée de vie et le calme du monde est seulement troublé par les battements sourds de mon cœur, ce bourdonnement sanguin incessant dans mes oreilles. Je suis heureux qu'elle soit venue me voir ce soir même si je ne saisis pas ce qui m'a pris. Je suis en confiance, et je lui parle enfin des étoiles. Je lui décris les plus brillantes, les constellations primaires qui nous guident, nous autres, hommes-poissons, et je lui raconte qu'elles ne sont pas semblables en Europe. Je peux en parler pendant des heures. D'ailleurs, je pense que j'en cause un peu trop et l'idée me vient qu'il n'est pas exclu que je puisse l'ennuyer. Euh… Pardon. Je… euh… parle beaucoup. C'est juste que j'aime bien les étoiles. Depuis que je suis môme je les observe avec le rêve de partir un jour. J'ai fui toute ma vie, je pars, mais les étoiles, elles, restent.

On s'assied l'un à côté de l'autre et je plisse le nez quand il passe un bras autour de mes épaules en un geste qui, une fois de plus, me surprend. Je n'ai pas froid, moi non plus, mais j'aime me trouver contre lui, enveloppée de la chaleur de son corps, et de son odeur qui, depuis le premier jour de notre rencontre, me plaît trop pour mon propre bien. Je crois que je prends un peu trop plaisir à être juste là, avec lui, c'est sans doute la situation la plus normale que j'ai connue depuis... des années, finalement. Et je crois que c'est toujours ainsi avec Jurgen, chaque instant passé en sa compagnie me semble toujours naturel et apaisant, comme si finalement il n'attendait rien de particulier de ma part. Même cette étreinte dans la ruelle, je n'ai jamais eu la sensation avant ce soir qu'il espérait que ça finirait par arriver... J'ai même bien conscience d'être celle qui a fait le premier pas.

Je l'écoute me parler des étoiles, le nez rivé vers le ciel, concentrée et attentive, et j'esquisse un sourire attendri lorsqu'il s'excuse. Je lève sur lui un regard encore voilé. « Mmh, ça ne me dérange pas... J'aime beaucoup t'entendre parler... » Il a une voix absolument électrisante, rauque, basse et pourtant douce, caressante et dont les inflexions me font frémir. Je le regarde un instant en me mordant la lèvre avant de souffler. « On ne devrait peut-être pas trop tarder à rentrer... »

Très honnêtement, je n'ai pas envie de rentrer. J'aime La Barbe, je tolère ou apprécie les gens qui y vivent ou y passent mais je suis très bien ici. Hm… Je hoche la tête et me redresse après avoir laissé tomber mon bras le long de son dos. Allons-y 'lors… Comme d'habitude, je lui tends la main, puis nous redescendons par le baril du crime. Je crois que je ne le verrai plus jamais de la même façon, tout comme le mur rêche contre lequel nous nous sommes laissés aller. Sa main reste dans la mienne jusqu'à la grille des jardins de la barbe, et puis l'appréhension me prend. Si on nous voyait entrer ensemble, personne ne serait dupe. Je me sens à nouveau rougir. Attends… Le temps a passé depuis et l'intérieur s'est tari. On n'entend plus la musique et il semble ne plus y avoir autant de monde. Je passe la tête par la porte, pousse un peu les rideaux. Alicia occupe les genoux de Colin, mais ce ne sont probablement pas les seuls qu'elle ait visités depuis le début de la soirée. Je fais signe à la rouquine de venir et ma voix se mue en murmure. Ya plus grand monde. Mais si tu veux éviter Colin, va falloir s'faire tout p'tits.

Bien entendu, il ne me refuse pas de rentrer et moi aussi, je suis un peu déçue de devoir quitter les lieux... Et surtout la chaleur de ses bras. Mais je crois que ce n'est pas très raisonnable de rester encore ici, dans les bras l'un de l'autre à regarder les étoiles comme si nous étions un couple. Je n'oublie pas que notre soirée a commencé lorsqu'il m'a expliqué qu'Alicia le collait trop et qu'il ne savait pas comment le lui dire... Je ne veux pas avoir ce genre de relation avec lui. Je ne veux pas qu'il me voit comme la petite rouquine collante qui lui traîne dans les pattes et ne comprend pas les messages subliminaux. Nous nous sommes seulement envoyés en l'air dans une ruelle, je suis une courtisane, ce n'est pas comme si c'était la première fois ! Pourquoi tout compliquer ?

On regagne ensemble le chemin de la Barbe et j'esquisse un sourire quand il me dit qu'il faut qu'on se montre discrets. J'étire un sourire amusé. Ici, nous sommes à l'abri des regards et je tends la main vers lui, pour la poser sur sa nuque. Je me hisse sur la pointe des pieds et souffle. « Rentre par ici, je rentrerais par la fenêtre de ma chambre... » Je lie mes lèvres aux siennes pour un ultime baiser, une façon de clore la jolie parenthèse qu'était cette soirée, avant de m'écarter.

Je ne réponds rien parce que je suis sur le cul. Mon cœur fait encore un bond, témoignant qu'il s'agit là d'une des meilleures soirées de ma vie. Je la regarde s'échapper comme le vent. Cette fille est une fée. Elle a quelque chose d'onirique, c'est du moins ce que je dirai si je connaissais ce mot. Je me montre tout de même fort discret quand je passe la porte parce que je n'ai pas envie qu'Alicia, pintée comme elle l'est, me poursuive. J'enjambe quatre à quatre les marches des escaliers sans même faire grincer le bois et je reste un petit moment devant la porte de la rouquine. Une ou deux minutes, tout au plus, le temps d'entendre le bruit de ses pas sur le sol. J'esquisse un sourire en retrouvant ma couche. Comme d'habitude, je range soigneusement mes bottes et je me désape avant d'allumer un cigare que je fume à la fenêtre. La lumière passe par celle de la Renarde et je me demande ce qu'elle fait. C'était une foutue bonne soirée. J'ai encore le goût de sa salive qui se mélange à celui du cigare lorsque je passe la langue sur mes lèvres.
Ce soir, j'ai seize ans. Demain, j'en aurais à nouveau trente, c'est dans l'ordre des choses.